Les chemins de l’ouverture dans la pensée de Heidegger
Jean-Luc Spinosi
Le projet des chemins de pensée heideggeriens semblent répondre à un constat d’oubli. Les systèmes philosophiques ont depuis leur origine cherchés à répondre à la question métaphysique classique « pourquoi il y a-t-il de l’être plutôt que du rien ». Une fermeture progressive s’est articulée en oubli, puis en oubli de l’oubli.
La question « qu’est-ce que la métaphysique ? » suppose que l’on procède à une recherche de l’essence même de son discours. Aussi est-il nécessaire de s’enquérir de ce qui fonde, de l’Etre. Mais à travers l’analyse de la technique, une autre guise de l’Etre apparaît-elle, celle qui risque son retrait radical à travers l’arraisonnement de la raison calculante. « Là où est le péril croit ce que sauve » dit la parole de Hölderlin. Au temps de détresse, il appartient de suivre des traces. La parole comme Logos originel, instance de l’acte fondateur par excellence à travers le poème comme « rêve du Sacré » nous entretient d’une autre approche. L’être lui même n’est qu’un mot provisoire sur le chemin qui semblant ne mener nulle part réintroduit la possibilité de la rencontre. L’homme y habite la différence au sein d’un jeu de miroir proposée par l’ouverture. Un autre mode de pensée agit, hors de la représentation, une tentative d’appartenir au langage lui-même où l’essence de la parole est parole de l’essence.
1. L’ONTOLOGIE FONDAMENTALE
Il ne s’agit pas de taire la métaphysique mais de la réapproprier. Au-delà d’une rénovation et d’une destruction il faut revenir au projet initial de la métaphysique et d’en parcourir l’histoire ainsi que l’impensé. Dans un premier temps, le bilan de « Qu’est-ce que la métaphysique ? » pose cette confusion de l’être et de l’étant. La recherche s’effectue comme quête d’une ontologie, Heidegger poursuit le projet transcendantal de Kant, de fondation d’une perspective où se pensent les conditions de possibilité de l’étant. La différence ontologique s’appuie sur la mise en évidence des catégories existentiales. Une situation herméneutique se dévoile, c’est le projet de « Etre et Temps », les deux termes associés vont anticiper le mode de l’être comme présence. Mais l’être se dit sur plusieurs modes, l’appuie sur le registre aristotélicien le confirme. L’ontologie fondamentale et l’analytique existentiale rompent avec un logos instrumental. La mise en relief d’un ensemble de structure dépasse ici le cadre de l’opposition du subjectif et de l’objectif. Parvenir à poser le dasein, c’est inclure une fondation par la transcendance. L’être est le pur transcendant dont le prénom est le temps. La rupture d’avec un temps linéaire pense une autre instance où les stases s’affirment comme structures. L’être c’est le temps, cette réponse qui sera provisoire permet cependant de fonder l’être comme présence, ouverture de projet. L’existence est un projet, une ouverture de mondes. A travers la présence de l’Ouvert, le dasein projette ses possibilités, jusqu’à celle qui le rend impossible, ici se joue le choix de l’authenticité à travers l’angoisse. Dans ce cadre le thème de la vérité se joue sur le registre du dévoilement, de l’aléthéia. La « critique de la métaphysique » rend compte d’un retrait de l’être, de son oubli.
Heidegger ressaisit les sens originels de la pensée, du logos et de ses rapports avec l’être, notamment dans « Qu’est-ce que penser ? ». Il s’agit de saisir les évolutions de ce logos qui, comme raison, devient instrumental et s’achève dans la technique.
2. L’ESSENCE DE LA TECHNIQUE.
L’oubli de l’être s’écoule au long de l’histoire. Il ne s’agit pas d’une simple volonté de rupture, mais l’oubli est lui-même compris comme possibilité de l’être. La technique corrobore cette histoire, en son sein se réalise la métaphysique, notamment par le principe de raison. La raison calculante, par opposition à la raison méditante, achève le règne de la sécurité et de la mise en ordre. De telles évocations ne sont pas sans faire songer à l’école de Francfort et notamment un célèbre auditeur de Heidegger : Herbert Marcuse. Les deux critiques se font écho dans ce registre. L’essence de la technique n’est rien de technique, le projet technologique aboutit à l’instrumentalisation totale, à la réification de toutes les zones. La mobilisation globale de toutes les énergies énoncent le nihilisme, le dialogue avec Ernst Jünger se situe pourtant déjà sur la pensée d’un franchissement de la ligne. «Là où est le péril, croît se qui sauve », une autre tentative reste possible. La posture vis à vis de la technique s’entend comme sérénité, ni comme retour nostalgique à un passé révolu, ni comme simple réaction. La résolution s’effectue sur un autre mode, il faut aller au bout de l’exil pour revenir à la demeure originelle.
3. LA PAROLE DE L’ETRE COMME NOMINATION DU SACRE.
« Le penseur dit l’être, le poète nomme le sacré ». Le mot même de l’être n’est qu’un terme provisoire. A travers la poésie de Hölderlin, la quête de l’origine prend l’allure du dialogue de l’aurore et du crépuscule. Après l’exil nécessaire, les poètes voyageurs retrouvent le plus proche dans le plus lointain, la parole fondatrice. Le tournant s’effectue, de la pensée de l’être de l’étant, à la recherche de la pensée de l’Etre comme génitif subjectif. L’art ouvre un monde, où la parole est antérieure à l’homme qui ne fait que la répéter. Il faut apprendre à écouter le langage à lui correspondre. Heidegger effectue un renversement où les mots, la parole ressemblent étrangement aux idées platoniciennes. Dans ce chemin qui peut être ne mène nulle part, et sera voué encore à l’échec, la résonance d’une hiérophanie s’entend où peut être se qui est à venir n’est pas à notre portée. Plus restrictivement il importe de rechercher les traces du sacré, ce qui donnera la possibilité d’atteindre une demeure où entre ciel et terre l’homme habite en poète.