L’itinéraire de l’âme dans la pensée chrétienne

François Tricot

« Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme, mais alors nous verrons face à face » (I Cor., XIII, 12)

Introduction : Henry Corbin a raison de voir une des sources du désenchantement occidental dans la coupure entre l’homme et l’ange suscitée par la conjonction d’une dérive christocentrique et d’une autorité spirituelle abimée par le pouvoir temporel. Pourtant cette coupure ne saurait occulter l’extraordinaire tradition qui continue encore à perdurer dans les différents ordres monastiques et spéculatifs. Le voyage de l’âme à travers les différents mondes spirituels trouve un écho en occident chrétien à partir de l’œuvre influente de Denys l’aréopagite, écho démultiplié grâce aux œuvres d’Augustin, d’Erigène, du courant Victorin, chartreux et de Saint-Bonaventure pour ne citer qu’eux ainsi que d’une littérature profondément initiatique et symbolique dans les œuvres de la divine comédie de Dante et du cycle arthurien.

A travers cette tradition nous voudrions ici montrer le lien qu’il peut exister entre une conception du monde envisagée comme cosmos et l’âme humaine au regard de l’angélologie chrétienne. Ce lien apparaitra comme un parcours, une quête dont l’itinéraire met en jeu la question de la réalisation, et du salut (sotériologie).

Cette conception n’est pas à proprement parler chrétienne mais s’enracine dans un héritage à la fois vétérotestamentaire (livre d’Isaïe, échelle de Jacob, cantique des cantiques) et grecque (néo-platonicien : Proclus, Damascius, Plotin). Il serait trop simple de ne voir ce qui est en partie vrai la cosmologie chrétienne comme un alliage subtil kabbalistico-hellénique. Ce serait passé à côté du rôle fondamental de la Trinité, de la figure du Christ-logos, de l’incarnation et de l’esprit-saint, révélé et mis en avant dans le christianisme. De même il serait présomptueux d’extraire la cosmologie chrétienne de ses influences conscientes ou inconscientes. Disons que l’on retrouve au sein de la cosmologie chrétienne les fondements pérennes de toutes traditions retravaillés et revitalisés à travers un nouveau champ conceptuel et gnoséologique.

Pour montrer ce lien il nous faudra tout d’abord évoquer au niveau archétypal la cosmo-théodicée générale de la création (mondes visibles et invisibles) et de l’humanité à travers la source trinitaire, les épisodes processionnaires de la chute (Lucifer et Adam), du libre arbitre, du mal et la grâce rédemptrice. (Partie 1)

Dans un second temps nous verrons comment l’âme individuelle au centre de tous les enjeux retrouve ces aspects cosmogoniques à travers les correspondances des différents niveaux noétiques et cosmologico-angélologiques dans son itinéraire de rapprochement (quête du salut). (Partie 2)

Enfin la conversion à l’œuvre de l’âme s’accompagnera d’une réflexion sur son devenir à travers le processus résurrectionnel dans une thématique plus eschatologique. (Partie 3)

Partie1 : Métaphysique de la création (cosmogonie) et cosmologie

En théologie catholique la création apparaît comme un miroir du créateur qui aurait très bien pu dans sa perfection rester en lui-même pour l’éternité en cette essence suressentielle, insondable abîme, transcendance radicale à la source de tout, duquel tout provient et qui contient tout (déité chez Eckhart ou ténèbre lumineuse chez Denys l’aréopagite).

Se pose dès lors une première interrogation sur les causes de la création, viendra ensuite le processus (d’où le terme de procession au sens d’avancer à partir de son origine).

Nous ne trancherons pas ici les débats stériles entre monde créé et monde émané (non-incompatible d’ailleurs pour une logique non-disjonctive), indiquons simplement qu’en la matière les problèmes de traduction permettent plusieurs interprétations sur le sens du mot berechit en hébreu signifiant « au commencement » pour les uns, « dans le principe » pour les autres, interprétations traduisant par là même l’impossibilité de trancher dès lors que l’on s’approche de la source du commencement. Dieu ne se laisse pas saisir et reste bien mystérieux et c’est tant mieux, car cela nous évite les conceptions figées et dogmatiques.

Une première réponse à l’appui de la théologie catholique affirme l’infinie bonté de Dieu qui souhaite faire découvrir et communiquer sa vérité et sa beauté. Il n’y a pas de cause proprement dite à chercher dans cette donation car Dieu n’agit pas en fonction d’un besoin ou encore moins d’un intérêt, la perfection se suffisant à elle-même. Dieu crée parce qu’il crée et le don qu’il offre à travers la création n’est autre que son propre dévoilement. Que pourrait donc offrir la perfection si ce n’est elle-même? Cela nous donne déjà une première indication sur la notion de création qui ne peut être à titre d’éloignement du créateur une dégradation, mais un reflet du divin à travers l’infinie diversité de ses expressions, de la plus haute jusqu’à la plus basse. Une première interrogation émerge dès lors sur les rapports de l’un et du multiple.

Mais plus que le désir de dévoilement, le philosophe Schelling oriente le débat en avançant l’argument de la plénitude de l’être à travers le thème du possible. L’absolu ne serait pas complet et donc l’absolu s’il ne réalisait pas au sein de l’un la possibilité du multiple, au sein de la transcendance la possibilité de l’immanence, et plus encore et surtout au sein du bien la possibilité du mal oserions-nous dire car comme nous le verrons plus tard le mal a sa place et son rôle à jouer dans la manifestation. La perfection de l’essence n’est pas remise en cause mais se déploie à travers l’ex-istence (sortie de soi) en saturant le potentiel du possible, d’où la double orientation métaphysique à l’œuvre au sein de la théologie chrétienne dans la dialectique fondamentale de l’essence et de l’existence, fille de la dialectique de l’un et du multiple.

Cette dialectique atteint son sommet dans la théologie chrétienne à partir de la notion de Trinité. On parle d’ailleurs de la vie trinitaire comme le « sommet » de la révélation chrétienne. Denys l’aréopagite ainsi que Maitre Eckhart insistent sur la distinction que l’on doit opérer entre la Déité source absolue au-delà de toutes essences, de toutes formes de manifestation et Dieu en tant que possédant une vie interne distincte du dieu « caché » (Deus absconditus) de l’essence suressentielle mais cependant non séparée. Pour être connu et révélé Dieu doit se manifester, sortir de son incognoscibilité originaire, et c’est pourquoi si nous voulons en parler, bien que la Trinité s’enracine dans le principe inengendré du fondement sans fondement (nature commune aux trois hypostases), nous ne pouvons le faire qu’en tant que Dieu manifesté. Cette approche première de Dieu en terme chrétien se nomme donc la Trinité à savoir le Père, le Fils et le Saint-Esprit (hypostases divines, unité de nature en trois personnes dans une égale dignité). Lorsque nous parlons du père dans la Trinité c’est en rapport à son fils qu’il engendre (le verbe parfaite image et connaissance de Dieu par lui-même ou « sagesse incréée ») non pas dans le temps mais éternellement et donc consubstantiellement (c’est pour cette raison que le crédo insiste sur la notion d’engendrement du fils et non celle de création qui se réfère au temps). Lorsque nous parlons de déité c’est Dieu le père dans son essence cachée et inengendrée au-delà de toutes manifestations que nous évoquons, au-delà de son rapport relationnel avec le fils. Cependant le père représente dans la Trinité la source, le commencement, le principe sans principe, dont la spécificité consiste certes à ne pas être engendré (déité), mais aussi à pouvoir engendrer. Le fils sera donc l’engendré éternel consubstantiel, le versant de Dieu manifesté dans sa perfection totale (la connaissance que Dieu a de lui-même, la parole sortant du silence, « logos » ou sagesse de Dieu), « reflet resplendissant de la gloire du père, expression parfaite de sa substance » (Saint-Paul épîtres aux Hébreux 1, 3).

Au niveau de la Trinité nous ne pouvons dire si Dieu est ceci ou cela mais simplement que Dieu dans sa vie interne ne peut connaître autre chose que lui-même (son être, ce qui n’implique donc pas une relation à autre chose, il n’y a donc pas altérité et encore moins de division, tout juste une distinction opérée par la raison, « Au commencement était le verbe et le verbe était auprès de Dieu et le verbe était Dieu » Saint-Jean 1:1).

La relation opérée du père vers le fils n’est pas un lien à sens unique mais une relation circulatoire car le père en se « donnant » totalement à son fils dans sa propre connaissance accueille de nouveau son fils en son sein, en sa source dans un « mouvement de flux et reflux» sans début ni fin. Nulle succession temporelle n’a lieu, mais un engendrement éternel du fils par le père et du fils dans le père. Ce mouvement de circulation de la connaissance entre le père et le fils révèlera une troisième hypostase en la personne du Saint-Esprit (fruit de l’amour réciproque du père et du fils) qui procède à la fois du père et du fils par spiration. Le Saint-Esprit procède à la fois du père comme origine de toute chose et du fils par le « mouvement » de « retour » qu’il effectue vers le père fin de toutes choses. Si le fils représente la connaissance divine, le Saint-Esprit représente lui l’amour divin, car la relation circulatoire entre le père et le fils est une relation réciproque d’amour unitaire, véritablement communion (eucharistie) entre l’origine (principe sans principe, on parle de monarchie du père d’où tout provient et où tout revient) et son image parfaite (le fils, engendré éternellement). En théologie chrétienne on parlera de « circumincession ». On peut voir ici dès l’origine la compénétration de l’amour et de la connaissance et ceci est fondamental. (« Par lui, avec lui et en lui, à toi Dieu le père tout puissant dans l’unité du Saint-Esprit », moment suprême de la doxologie (parole de gloire) eucharistique).

La Trinité traduit donc la toute puissance créatrice de Dieu et sa révélation interne (engendrement du fils et procession du Saint-Esprit) tout en sauvegardant l’incognoscibilité de sa transcendance radicale. Comme l’indique Ruysbroeck, « Dieu est unité en sa nature, trinité en sa fécondité ». Nous ne reviendrons pas sur les différentes hérésies, incompréhensions ni hypocrisies intéressées qui créent la polémique autour de cette haute vision métaphysique qu’est la Trinité. Il n’y a pas trois dieux, les personnes ne sont pas à prendre indépendamment, elles n’existent qu’en relation avec elles-mêmes. La Trinité exprime la vie interne de Dieu (que l’on ne peut exprimer monolithiquement ou polythéiquement) à condition de toujours garder en mémoire qu’au-delà de la révélation trinitaire l’apophatisme de Dieu se méprend du langage et garde le silence. Mieux vaut chercher à comprendre pour qui veut connaître, on parlera de mystère trinitaire non pour masquer le manque de cohérence mais bien parce que la Trinité ne se laisse pas saisir par une combinaison subtile de concepts. Son appréhension relève de la vision « mystique » au-delà de toute logique formaliste. Disons que la Trinité est la manière chrétienne d’exprimer l’universel thème de la dialectique du caché et du manifesté (Deus absconditus et Deus revelatus) commun aux diverses traditions, dans cette perspective beaucoup de problèmes et de querelles dogmatiques s’évanouissent, le dialogue devient possible.

La Trinité où vie interne de Dieu n’est pas sans rapport avec le processus de création (procession). Si la Trinité est l’expression parfaite de Dieu c’est parce qu’elle intègre à la fois le don de la révélation de la connaissance du père à travers le fils au sein d’une relation d’amour unitive et toute la plénitude de l’absolu en attente de sa révélation. Le passage à la création révèlera alors le versant manifesté et déterminé, c’est à dire à l’état dispersé et pluriel de la trinité indivise. Dieu se donne dans la création à travers son verbe (le fils, qui la contient toute entière) en se diffusant. Puisque Dieu est don et donc diffusion il lui faut maintenant une réplique extérieure à lui-même à laquelle communiquer toute sa gloire. Si Dieu est Trinité et que la création est le reflet ou à l’image de Dieu alors la Trinité divine doit aussi se retrouver à travers la création toute entière. Rappelons-nous les leçons de Schelling, « la suite des choses à partir de Dieu est une autorévélation de Dieu » dit-il dans les « recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine ». Ce qui est diffusé à travers la diffusion n’est pas séparé de ce qui diffuse, et c’est bien la raison pour laquelle nous pouvons parler de manifestation divine à travers la création (théophanie). Cependant ce qui diffuse n’étant pas sur le même plan que ce qui est diffusé on parlera de la création comme image ou reflet de Dieu à travers une dialectique subtile au-delà de la logique formaliste de la non-contradiction.

Cette création bien que manifestée, est à la fois distincte de Dieu (dont l’essence cachée n’est pas affectée) car créée dans le temps et donc non-éternelle mais aussi non-séparée car émanant de Dieu en tant que verbe ce qui nous permet d’éviter à la fois les tendances monistes et dualistes. La création ne sera que le long chemin processionnaire de diffusion du verbe de lumière de l’invisible vers le visible, des mondes angéliques comme pures intelligences réceptives de la lumière vers la terre physique comme matérialisation et réceptacle final des intelligences. En tant que dernier monde, la terre ne se situe pas au même degré ontologique que les mondes célestes, (le passage de l’invisible au visible indique bien comme un saut dans la procession) mais faisant partie intégrante de la procession comme fin ultime du déploiement des lumières elle n’en est pas moins participante et non pas coupée du monde invisible. Paradoxalement la terre bien que située au dernier rang du déploiement de la lumière n’en reste pas moins le degré ultime où s’actualisent dans un processus créateur sans fin les possibilités expressives de la manifestation et peut donc bien être aussi vue comme l’aboutissement positif de la descente du verbe ce qui ne peut toutefois pas satisfaire la conscience idéaliste en quête de perfectionnement (Dieu étant parfait, se réaliser consiste à se rapprocher de Dieu). On voit déjà comment le Christ en son incarnation permettra la résolution du paradoxe de par sa double nature hypostatique (divine et humaine) source de tout l’exemplarisme chrétien (Théosis ou divinisation).

La position gnostique (« la gnose au faux nom » comme l’indique Saint Irénée à ne pas confondre avec la vraie gnose en tant que science du retour et de la participation au verbe et à l’esprit de Dieu) traduit une tentation dualiste qui ne se préoccupe pas du sens et de la place cruciale de la matière dans la théodicée suivant le dessein du créateur, qu’elle attribue à un faux dieu trompeur et manipulateur et qui est donc intrinsèquement mauvaise en soi. Ce qui est en bas de l’échelle n’est pas en dehors de l’échelle et ce qui est en haut a besoin de ce qui est en bas pour s’affirmer en tant que supérieur. Même si le christianisme possède des éléments communs avec la tentative de délivrance ou libération de l’esprit par la connaissance rédemptrice et salvatrice, l’alternative gnosticiste conduit à la négation et au rejet du visible et matériel alors que le christianisme inclut la création et le visible en tant qu’expression et actualisation des possibles dans une perspective unificatrice et transfiguratrice (non laissé à lui seul) comme nous le verrons plus tard.

Pour communiquer cette beauté et vérité, le passage à la manifestation est nécessaire mais au sein de cette manifestation doivent exister des êtres capables de rendre gloire à Dieu et capables de recevoir la perception du divin. Les anges sont ces êtres incorporels doués d’une capacité d’intuition plus ou moins immédiate de Dieu dans le monde immatériel dit de lumière, ou intelligences rendant gloire à Dieu et le louant sans relâche car leur proximité divine est pour eux la source d’un contentement et d’un bonheur éternel relativement à leur place dans la hiérarchie réceptive des lumières divines (voir Denys l’Aréopagite).

La sortie de soi ou passage au multiple et à la détermination indique le chemin créateur de la procession, du déploiement nécessitant par la même l’idée d’un retour à l’origine assurant ainsi l’unité de l’ensemble (conversion). La confusion de l’indépendance (rupture du lien) et de la vraie liberté (réaliser son potentiel maximale relié à la connaissance et à l’amour de Dieu) se traduit par un acte d’éloignement provoquant la distanciation progressive jusqu’à la séparation et c’est bien dans cet éloignement que nait le mal. Le récit de la rébellion luciférienne (le plus beau et le plus lumineux des anges, le « porteur de lumière » premier réceptacle du verbe) traduit exemplairement cette séparation. Lorsque le créateur lui demande de se prosterner devant l’homme, il refuse arguant l’impossibilité de se prosterner devant une créature jugée inférieure. Cette épreuve traduit la nécessité pour la connaissance d’être liée à l’amour unitif (à l’image de la trinité). N’oublions pas que pour parfaire sa création, Dieu donne le libre arbitre (libre choix laissé à la volonté dans ses orientations) à ses anges, et éprouve par là même leur capacité d’amour unitif au-delà de leur capacité intellectuelle à capter la lumière de la connaissance. Lucifer avant la chute symbolise la lumière du verbe (connaissance « matutinale » ainsi que l’indiquent Saint-Augustin et plus tard Saint-Thomas) comme son premier porteur ou sa première émanation (qui n’est pas le fils puisque le fils ne porte pas mais est la lumière) et jamais dans sa grande perfection il n’aurait pu sans une « faille » (libre arbitre) en sa volonté pu se séparer de son créateur. Malgré sa grandeur lumineuse et sa proximité directe avec la lumière divine, il n’a pas l’humilité nécessaire à sa parfaite réalisation, (amour unitif du Saint-Esprit). Ce manque créera une brèche dans sa volonté au sein de laquelle pourra s’engouffrer l’orgueil conduisant à la désobéissance (au sens d’exister dans l’illusion de l’autonomie, coupé de sa source). L’épisode du lavement des pieds par le Christ aux apôtres rappelle cette nécessité d’un accompagnement de la connaissance par l’amour via l’humilité (amour de dé-surimposition) ce que Saint Paul traduira aussi par la Charité sans laquelle « nous ne sommes rien ».

« J’aurais beau être prophète, avoir toute la science des mystères et toute la connaissance de Dieu, et toute la foi jusqu’à transporter les montagnes, s’il me manque l’amour, je ne suis rien. ».

Dans le monde visible, l’être qui assure la mission de refléter ou plutôt incarner la lumière divine c’est l’homme, mission d’autant plus difficile qu’il occupe le dernier rang dans le déploiement hiérarchique de la réception lumineuse au sein d’un monde matériel et donc corruptible et changeant (difficulté qui en fera dès lors l’objet d’une plus grande attention et importance). N’oublions pas néanmoins que dans les premiers temps la terre est un paradis où l’homme exempté du pêché vit en parfaite harmonie sa double nature corporelle et spirituelle et c’est en terme de corps glorieux et lumineux qu’il nous faut parler de lui pour l’instant. Il est ici pleinement et véritablement à la ressemblance de Dieu, ce qui ne sera plus tout à fait le cas après la chute et tout le mouvement de remontée vers la source divine consistera dans la récupération ou réparation de l’âme afin de retrouver son état originaire.

L’épisode du jardin d’Eden illustre et reproduit, au niveau du monde visible (à la différence de l’ange, céleste et incorporel, et donc plus proche de la réception) l’épisode de la chute de Lucifer et de sa déchéance en Satan, nous amenant à traiter maintenant de celui de la « chute d’Adam » et du « péché originel ». A l’état paradisiaque, Adam bénéficie d’une connaissance non-discriminante car son esprit est en lien direct avec le monde céleste. Il représente le réceptacle de la lumière divine au sein du dernier stade de la création : le monde visible. Il actualise à travers la matière tous les potentiels de transfiguration. De l’unité parfaite (paradisiaque) entre le créateur et la créature traduite en termes de proximité, l’épreuve va consister à faire dériver la créature en introduisant au sein de l’unité la division rendue possible par le libre-arbitre. La tentation (provoquée par le serpent incarnation de Satan contre-principe spirituel de division) crée une brèche au sein de l’harmonie dans laquelle s’infiltre l’orgueil, c’est à dire la volonté consciente d’elle-même et de son pouvoir se coupant par la même de sa source qui était maintenue par l’amour unitif de l’Esprit-Saint. La désobéissance brise l’harmonie originaire de la lumière et de l’amour, fait émerger l’ego (principe de l’autosatisfaction coupé de la source spirituelle), l’esprit ne sera plus désormais la seule dimension attractive pour l’âme mais devra désormais composer avec la concupiscence propre au corps devenu chair mortelle (conséquence de l’éloignement). N’est-ce pas cette blessure, cet éloignement que nous répétons sur terre lorsqu’à chaque fois un pêché est commis? La tentation s’infiltre à travers les forces du corps qui s’autonomisent et se coupent de la puissance de l’esprit. L’âme chute à chaque pêché commis vers les enfers jusqu’à ce qu’une nouvelle grâce nous rappelle au ciel des illuminations. Plus nous agissons conformément à l’esprit et plus nous connaissons et expérimentons Dieu et sa lumière. Inversement moins nous agissons conformément à l’esprit et plus nous chutons vers les méandres de l’illusion et des ténèbres.

On le voit ici, le parallèle entre les deux chutes est frappant. Adam est au monde visible et terrestre ce que Lucifer est au monde invisible et céleste. Lucifer représentera désormais le principe diviseur opposé au principe d’unité, principes entre lesquels se retrouvera dès lors ontologiquement placé l’homme tiraillé et privé de sa capacité immédiate et naturelle de contact avec le monde céleste. Lucifer entrainera dans sa chute d’autres anges « rebelles » qui n’auront de cesse de substituer à l’autorité du créateur les promesses d’une fausse liberté individuelle basée sur l’indépendance fière et l’orgueil. Il est désormais Satan l’ « adversaire », régnant sur l’empire des passions dans un monde de vicissitudes, première étape de la volonté d’écarter l’homme de sa source divine. Son but final est l’éloignement (inversion du principe d’unité, véritablement dia-bolique) jusqu’à l’oubli du principe à travers les artifices de l’illusion et de l’intelligence maligne (antéchrist). Bien que contre-principe, Satan n’en restera pas moins compris dans la création, cosmologiquement intégré à l’ensemble qui ne laisse rien en dehors de soi, nul dualisme ici donc.

Ces deux récits de la double chute humano-luciférienne nous conduisent à une interrogation sur le sens des évènements. Expliquer le monde par un ordre successif et chronologico-scientifique nous paraît insuffisant de même que l’interprétation purement métaphorique nous semble inadéquate. Ce sens, au-delà des interprétations littérales et métaphorisantes nous mène vers le symbole en tant que déploiement archétypale d’une métahistoire théophanique comme l’indique Erigène. L’archétype n’est pas seulement le rassemblement de l’épars dans la forme universelle, il est aussi ce qui donne sens à un double niveau nécessaire et exemplaire.

La chute est le résultat d’une épreuve, et c’est cette épreuve qui pose question (prosternation et pomme). Lucifer dans sa chute devient le symbole de la tentation, de la division, jaloux du pouvoir octroyé à l’homme son seul désir est d’entrainer l’humanité toujours plus basse dans sa chute. Le « pêché originel » d’Adam marque en tant que premier homme la « chute » de l’humanité à un niveau bien inférieur par rapport auquel elle était autrefois, et c’est pourquoi il est l’évènement hiérophanique par excellence dans le monde visible. D’un monde de matière lumineux elle passe à un monde de pure matière dans lequel il est beaucoup plus dur de s’élever et de se maintenir lié à la lumière. Toute sa tâche consistera désormais à tenter la transfiguration du visible par l’invisible, à retrouver dans une démarche de conversion l’état originaire dont il porte encore la marque et l’image en son esprit malgré sa chute et son ancrage terrestre. La source s’éloigne mais le lien demeure.

La terre matérielle, parmi laquelle subsiste un être (l’homme) toutefois « capable de dieu » lorsque son âme est conduite par l’esprit (instance maintenue malgré la chute sans laquelle nous serions des animaux) devient le lieu d’un combat eschatologique entre les forces du bien (la connaissance et l’amour) et du mal (l’erreur et la discorde). Chaque homme est en lui-même son propre champ de bataille à travers la double inclinaison de son âme soit comme esclave du pêché ou homme de l’esprit. Le pêché n’est pas à prendre dans un sens moraliste comme si le corps était la source de tout mal. Ce n’est pas le corps en lui-même qui est la source du pêché, il n’est pas le tombeau de l’âme mais le « temple de l’esprit » dans la mesure où celui-ci le conduit, l’illumine, l’oriente. C’est le corps laissé à lui-même, la volonté soumise aux instincts et pulsions du corps qui en se séparant de l’esprit engendre le pêché. C’est la distinction que fait Saint-Paul entre l’homme psychique et l’homme pneumatique (du grec « pneuma »: souffle de l’Esprit-Saint). L’âme de l’homme psychique est ballotée entre les différentes inclinaisons du corps et de la chair et ses états psychologiques le reflet de ses insatisfactions. L’homme pneumatique lui, spirituel pourrait-on dire, enraciné dans l’esprit, conduit son corps et ses actions par le truchement de l’esprit. Son but est d’aller toujours plus loin dans la réalisation de son esprit en déployant les différents niveaux de sainteté. A travers lui « souffle » l’Esprit-Saint (amour unitif) permettant à son âme d’accéder aux illuminations divines et de transfigurer son existence.

Peut-être au lieu de parler de bien et de mal pourrions-nous parler comme les évangiles semblent l’indiquer de vie et de mort à travers une dialectique non linéaire. Nous vivons par l’esprit et mourrons par la chair. Vivre c’est véritablement s’auto-réaliser à travers les différents niveaux de l’esprit incarnés dans un corps (d’où la notion de vie), mourir c’est nier la partie spirituelle de nous-mêmes et soumettre son âme aux inclinaisons de la chair (égoïsme).

L’âme, enjeu du combat terrestre, se bat pour se rapprocher de Dieu. Ce combat est comme une réparation de la brisure, de la cassure opérée par la faute du premier homme, et son mérite est d’autant plus grand que l’adversaire est puissant et malfaisant. En faisant chuter l’homme sur la terre matérielle, Dieu permet ainsi aux différents niveaux de la manifestation de se réaliser (on parlera de l’heureuse faute, « felix culpa »). La facilité retirant le mérite, c’est dans l’épreuve que Dieu nous teste et c’est dans l’épreuve que nous faisons justement l’expérience de notre liberté. Tous les possibles s’actualisent à travers la dialectique de la lutte des forces mortuaires du mal et bienfaitrices de la vie. C’est l’opposition qui permet le combat, la victoire, l’intensification par l’effort. Dieu n’aime pas le tout fait, le tout donné à l’avance, c’est à dire la facilité. Il faut éprouver la créature car c’est toujours dans l’épreuve que naissent (où s’éteignent) les prises de conscience et les sauts qualitatifs, l’authenticité d’une démarche. Dieu nous teste, nous éprouve avec bienveillance car dans la facilité la conscience s’endort, l’intensité retombe, l’âme rechute, tout est à refaire. Le don de l’esprit n’est pas définitif et l’enjeu du combat est moins une opposition aux forces de la chair qu’un enracinement dans l’esprit. Le combat n’est pas linéaire, il n’est pas dualiste, il n’y a pas d’un coté les hommes de l’esprit et de l’autre les hommes de la chair, mais des tentatives, des essais, des échecs, des retours, des progressions, des chutes et c’est bien ce qui fait la condition de l’homme l’oscillation permanente entre ces deux possibilités. Si le libre-arbitre apparait comme la condition nécessaire de l’âme perfectible, il met l’homme en danger car l’attraction céleste n’est plus la seule polarité de son être, déchiré l’homme n’en est que plus méritoire dans ses efforts, sur cette base se constitue la noblesse du combattant (chevalerie spirituelle).

Comme l’indique Schelling dans les « recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine » :”Puisque le mal est indéniablement effectif, au moins comme opposition universelle au bien, il ne fait donc d’emblée aucun doute qu’il n’ait été nécessaire à la révélation de Dieu.”

On comprend mieux désormais l’existence du mal et de la souffrance dans la mesure où l’imperfection est le tremplin sur lequel s’appuient les forces spirituelles pour s’affirmer. L’homme est cette créature qui à travers l’effort et l’épreuve dans la mesure où il possède le libre-arbitre réalise le parcours où vont s’échelonner et s’actualiser dans l’existence la possibilité des différents niveaux de l’être en correspondance avec les différents niveaux cosmologiques. Il n’existe pas de séparation entre les niveaux cosmologiques, reflets du verbe divin, et les différents niveaux de l’âme reflets du cosmos car c’est dans une logique de participation et non de séparation que communiquent les différents niveaux qu’ils soient visibles et invisibles, matérielles ou immatérielles. Cette participation est elle-même une logique d’influx divin par lequel le père communique à travers le fils toute sa connaissance et son amour. Il s’agit pour l’homme de s’accrocher à cet influx divin et c’est par sa volonté que l’homme s’y raccroche jusqu’à y remonter petit à petit. Cette remontée s’effectue par l’Esprit-Saint dans le contact effectué entre la volonté de l’esprit et le verbe divin illuminateur. Ce contact s’effectue par voie d’union à travers l’amour et c’est bien ce que l’on nomme la grâce. Comme l’indique Richard de Saint-Victor, « c’est de la grandeur de l’amour que dépend la mesure de la révélation divine. »

La grâce marque donc ici l’aide apportée à la volonté pour son effort de remontée vers les différents niveaux du verbe divin dans son désir de vivre et de connaître Dieu, aide qui provient non pas seulement de la simple force de la volonté mais de son raccordement avec l’influx divin émanée des mondes invisibles et supérieurs du cosmos (mondes angéliques). Sans cette grâce la volonté retombe soumise aux forces de la division de l’ego, en état de pesanteur comme l’indique Simone Weil dans « la pesanteur et la grâce » ce qui marque bien le statut ontologique du pêché comme marqueur de division et de discorde. Un haut et un bas s’échelonne en fonction de la puissance unitive de l’âme à sa source de lumière et de vie. Une remontée au « paradis » vers les états supra humains (processus de divinisation) ou une descente vers les états infra humains (enfer) s’effectue en fonction du travail effectué par l’âme et son porteur. Le travail permanent (ascèse) de l’âme sur elle-même dans son itinéraire de conversion illustre l’effort qu’elle doit accomplir pour réparer les dommages causés par le pêché. Le lieu du « purgatoire » traduit cet ascèse, mais n’est pas fait pour durer et ne constitue pas un but en soi. Il est un lieu de préparation à une vie nouvelle dans la renaissance par et dans l’esprit.

La « divine comédie » de Dante est à ce titre l’illustration parfaite de la correspondance entre le destin universel et le salut de l’âme individuelle au centre d’un cosmos où la mort physique n’est que le préalable à une vie éternelle après la mort, ce qui fait de la vie d’ici-bas sur terre un passage, une préparation quel que soit son niveau de réalisation. Le combat intérieur propre à chaque homme, correspond au grand combat que se mènent au niveau cosmologique les différentes forces où la vie terrestre de l’homme apparaitra comme le pivot de basculement, dont l’enjeu est la destinée et l’orientation de l’âme. Les forces cosmologiques du monde invisible s’affrontent mais indirectement à travers le champ de bataille que constitue l’âme de chaque être humain.

En attendant le dernier grand événement hiérophanique, le grand retournement, dans la figure du « jugement dernier » où tout est scellé définitivement, l’âme doit accomplir sa destinée à travers la vie terrestre en tentant de se rapprocher le plus possible de Dieu. C’est donc en termes d’états spirituels et non en termes moralisateurs qu’il faut entendre le parcours suivit par l’âme en fonction de sa double inclinaison charnelle et spirituelle.

Il ne nous appartient pas ici de donner le détail de tous les états spirituels (d’où le terme souvent galvauder d’états d’âmes) éprouvés lors de ce parcours mais simplement d’insister sur les principaux archétypes. Dante distingue trois niveaux ontologiques au sein desquels se déclinent une multitude de monde. Il ne s’agit pas à proprement parler d’états concernant la vie terrestre mais les visions de Dante se situent au niveau imaginal d’un « au-delà » incluant l’état des âmes en fonction de lieux post -mortem et invisibles à proprement symboliques, bien que le symbole ait ici une portée bien réelle et empirique car comme nous l’avons dit les forces du cosmos invisible sont en rapport constant avec le monde visible et terrestre. Les lieux décrits sont des lieux invisibles issus de mondes immatériels dans lesquels l’homme à travers la vie terrestre peut toutefois se reconnaître grâce à une méthode d’herméneutique laissant place à la correspondance et à l’anagogie. Chaque lieu de l’enfer, du purgatoire, et du paradis peut correspondre dans l’intériorité d’une âme à l’état d’une âme particulière dans le monde visible de la vie terrestre et incarnée. C’est bien tout l’enjeu de la « divine comédie » que chacun se reconnaisse à travers les différents lieux et étapes du parcours initiatique. Le cosmos n’est donc pas un lieu désenchanté et indifférent dans lequel s’entrecroisent des forces régentées par les seules lois de la physique et du hasard mais le lieu où se joue la destinée des âmes à travers les actes de la vie vues en terme d’éloignement (pêché et enfer) ou de rapprochement (grâce et paradis) de Dieu.

Les trois niveaux cosmologiques décrivent une géographie métaphysique dans lesquels sont plongées les âmes des hommes. La présence de chaque âme dans un lieu n’est pas le fruit du hasard mais le résultat des efforts fournis sur terre et de son niveau de réalisation à sa mort. Ces efforts se traduisent en termes d’éloignement et de proximité d’avec la source divine à l’origine de tout, située dans un lieu qui n’en est pas un à savoir l’empyrée, lieu du séjour des âmes affranchies et unies à Dieu.

Au plus loin des degrés supérieurs de la hiérarchie divine se situe l’enfer. Calqué sur les sept pêchés capitaux de la tradition chrétienne, il reçoit les âmes des pêcheurs et est divisée en deux niveaux constituant le haut enfer rassemblant les âmes « incontinentes » et le bas enfer rassemblant les âmes « malicieuses », établissant ainsi une hiérarchie entre le pêché comme dépendance de la volonté (pêchés véniels dans la tradition catholique) et celle d’une intelligence pleinement consciente et organisatrice du mal (pêchés mortels selon la tradition catholique). Comme le dit l’adage « errare humanum est, perseverare diabolicum ». Il n’est pas étonnant de trouver le siège de Satan (Lucifer déchue) planté en plein centre de la terre au point le plus éloigné de l’empyrée comme grand ordonnateur des passions et vicissitudes de la chair et de la matière. Il est le « prince de ce monde » et cherche à couper par tous les moyens l’homme du lien qui peut l’unir aux mondes supérieurs de l’esprit, en détournant la volonté de son désir d’union à Dieu vers une volonté centrée sur la satisfaction des désirs de l’ego, recensés à travers les sept pêchés capitaux. Dante dans la description de l’enfer passe les différents stades de cette dégradation ontologique (elle progresse par division et obscurcissement à l’opposé de l’unité conférée par l’amour et de la lumière conférée par la connaissance) jusqu’à aboutir à la volonté indépendante, fière et autocentrée dans une individualité coupée de sa source mais ressentie comme libre et insoumise. D’où le nom d’ « antéchrist » en tant qu’opposé au vrai Christ incarnant lui la soumission totale à la volonté divine. Analogiquement, le « prince de ce monde » conquiert ses adeptes dès lors que le temple de l’Esprit-Saint de l’homme pneumatique se trouve profané, jusqu’à déserter de sa présence le lieu du cœur conquit par l’insatisfaction et la division. Potentiellement tous ces niveaux de pêché l’être humain les possède à travers la dimension volitive mal orientée de part la partie basse et pulsionnelle de son âme. Personne n’est exempt de la tentation et son emprise est d’autant plus grande que les êtres sont désarmés et sous domination (esclaves du pêché). L’effort de l’homme consiste dans cette perspective à « ne pas entrer en tentation »[1] comme l’indique la prière du « Notre Père » car si l’être humain a bien sa part d’ombre, cette part d’ombre n’a pas pour vocation à s’étendre à tout l’être, sauf si l’homme s’entête volontairement en choisissant volontairement son enfer comme la source d’une autosatisfaction jouissive mais illusoire. La tentation est pour ainsi dire l’instrument divin par lequel Dieu nous éprouve afin de susciter la résistance, la libération puis l’élévation de l’âme vers la possession d’états illuminatifs supérieurs émanant des mondes de l’esprit. Pourtant la libération conduisant à la pacification de l’âme ne s’obtient pas aussitôt le mouvement de conversion entamé. Le pêché est tenace et en entraîne un autre par contagion, sa force réside dans l’accoutumance et la dépendance qu’il suscite est comme un affaiblissement progressif amenant à la coupure d’avec les parties spirituelles de l’âme. Il faut que l’âme soit rétablie dans son orientation vers les principes illuminateurs jusqu’à ce que chaque influence et dépendance du pêché disparaisse dans une sorte de détachement conduisant à la paix intérieure. Cette phase est une phase de repentance où l’homme prend conscience de son imperfection et fait le choix d’une correction réparatrice. Dante nomme ce lieu où les âmes expient et réparent leurs fautes le lieu du purgatoire symboliquement située sur une montagne dont le voyageur doit emprunter le chemin jusqu’à monter pas à pas, comme différentes épreuves qui le conduiront vers l’entrée du monde paradisiaque puis céleste, après avoir effacé un à un les dommages causés par les différents pêchés sur son âme.

Au « prince de ce monde », retentit comme un contre-feu la célèbre parabole christique « mon royaume n’est pas de ce monde » (Saint-Jean 18:36) signifiant non pas un mépris du monde car le monde est et reste le résultat d’une création divine mais un rejet des mondanités. La quête de réalisation ne passe pas par les plaisirs passagers et illusoires (les pêchés) mais bien par le monde invisible permanent et véridique au-delà de la matière qui se doit d’être arrachée à l’emprise de son prince afin d’être transfigurée et élevée dans et par l’esprit. Les anges seront les représentants et les messagers de ce monde invisible nous guidant vers la connaissance du verbe illuminateur. Ecouter la voix de l’ange signifie transfigurer la terre par l’entremise du monde céleste, refuser sa parole conduira à ramper à l’image du serpent de la vilenie.

Plus l’âme est purifiée et plus en effet la place est libre pour l’entrée de l’esprit comme pleine possession de ses moyens symbolisé par l’état d’innocence du paradis terrestre (état édénique) situé en haut de la montagne du purgatoire, porte d’accès vers les réalités immatérielles des mondes célestes figurés par les planètes du système solaire correspondances visibles des intelligences angéliques invisibles jusqu’à l’union mystique avec Dieu (vision béatifique) dans ce lieu qui n’en est pas un: l’empyrée. La vision dantesque lie parfaitement la vision cosmologique du monde avec ses différents étagements à l’existence terrestre de la vie humaine dans le combat qu’elle mène pour s’élever et se rapprocher de Dieu. Nous qualifierons cette vision de « cosmothéandrique » (L’unité du divin, du cosmos et de l’homme à travers l’âme)[2]. La vie terrestre n’est donc qu’une préparation, une répétition où se joue dans un devenir temporel le destin de l’âme immortelle.

L’architecture du cosmos invisible se retrouve à travers le monde visible qui se retrouve lui-même à travers l’architecture de l’âme comme réplique de l’ensemble du cosmos invisible et visible et donc aboutissement de la création comme réceptacle de tous les potentiels. Si l’âme est à l’image du cosmos et que le cosmos est à l’image de Dieu alors c’est bien que l’âme est le reflet de Dieu comme l’indique Saint-Augustin : « L’âme est image de Dieu, en ce qu’elle est capable de lui et peut participer à ce qu’il est par la connaissance et l’amour » (De Trinitate 14 : 8,11).

Cette inscription de l’image divine en l’homme et en son âme lui permet dès ici bas la possibilité d’un rapprochement dont il nous faut maintenant détailler l’itinéraire.



Tendance à ne voir dans l’incarnation que l’aspect humain (Le Jésus du Christ) et non pas l’alliance humano-divine (« pleinement homme et pleinement Dieu » comme l’indique la notion d’union hypostatique élaborée lors du concile d’Ephèse).

Tendance du clergé à prendre la place entre l’homme et Dieu occupé par les anges, rabaissant par la même la place illuminatrice de l’ange à un progressif moralisme.

La traduction « au commencement » de l’évangile de Saint-Jean apparaît bien imparfaite puisque le Verbe étant Dieu et Dieu étant éternel donc ne pouvant ni avoir de début ni commencement, il ne peut être que consubstantiel à Dieu, c’est à dire éternellement engendré.

Composé de circum- et du b. lat. incessio « action d’aller dans », dérivé de incedere « pénétrer dans », calque du gr. π ε ρ ι χ ω ́ ρ η σ ι ς « id. » (VIIIes., St Jean Damascene, De fide orth. 8, 828-829; 14, 860b; « compénétration mutuelle fondée sur l’unité d’essence [en parlant de la Trinité] » ds Théol. cath. 8, col. 720, s.v. Jean Damascène).

Nous disons gnosticiste et non pas gnostique pour éviter la confusion qu’il existe entre le courant gnostique dualiste et la vraie gnose illuminatrice et salvatrice du christianisme (non-dualiste).

Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens - Chapitre 13

Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu et que l’esprit de Dieu habite en vous ? (I Cor. III, 16, item VI. 19)

Lib. 4, de Cont.

[1] D’après la nouvelle traduction vaticane.

[2] Voir comment le théologien Ramon Panikkar relie la vision trinitaire à la vision cosmothéandrique.