Culture

François Tricot

Expression singulière et tonalité propre à chaque peuple, la culture constitue un lieu d’échange communautaire, rempart contre l’isolement et l’atomisation des hommes en individus anonymes et interchangeables. Consubstantielle à l’être humain, elle est la trace durable d’une empreinte préservée du passage fugitif et transitoire du temps. Lieu de transmission des héritages, elle procure aux hommes la possibilité d’une participation spontanée et intime d’avec la source fondatrice et créatrice d’où ils procèdent. La culture n’est pas de ce point de vue l’appareil usé et figé d’un corps mécanique mais une force vivante et créatrice autour de laquelle les hommes se retrouvent et communient dans le sentiment d’une appartenance profonde à une histoire à préserver et d’un destin à bâtir.

Non limitée à l’aspect communautaire, la culture offre la possibilité d’un rapport au monde affranchit de « l’utilitarisme de la fonction », préférant à la futilité consumériste les traces et manifestations durables du « génie » créateur. Inutile de préciser que la culture n’a dans cette optique rien à voir avec un objet de domination sociale pour « philistin » ou de consommation soumis aux besoins festifs et futiles de la société de masse. Toute culture est dans ce sens guidée, comme l’indique Nietzsche, par un principe d’excellence (aristos) où s’affirment le goût, le style et la sensibilité expressive propre d’une époque, d’un peuple, que les artistes subliment à travers les œuvres d’arts. La culture s’envisage dans le cadre d’une visée esthétique, mode d’attention et d’écoute sensible au goût pour la beauté sans laquelle « toute vie d’homme serait futile et nulle grandeur durable »1.

Véritablement pro-jet la culture transcende la banalité du quotidien par l’ouverture d’un domaine d’activité où l’homme expérimente sa libre capacité à imaginer et créer. Si « l’attitude de la consommation, implique la ruine de tout ce à quoi elle touche »,2 la culture, elle, s’inscrit dans une attitude respectueuse et créatrice des multiples dimensions constitutives de l’homme non plus réduites au calcul de l’intérêt au sein d’un monde dévasté.

Debout, et non plus la tête à l’envers, l’homme retrouve ce à quoi il aspire et le constitue véritablement comme être humain, à savoir l’exercice de la liberté à la poursuite d’un idée-al inachevable et inatteignable. Si étymologiquement, la notion de culture renvoie à l’entretien qui prend soin afin que demeure l’essentiel, alors l’homme est bien celui par qui perdure la possibilité d’un sens et d’un accord avec un monde rendu « habitable ». Au sein de cet accord, selon Hölderlin repris par Heidegger, l’homme « habite en poète », en dialogue avec la profondeur mystérieuse de l’énigme ontologique fondatrice et inaugurale.

C’est vers ce voyage théorétique de l’observation contemplative (vita contemplativa) que s’achemine la culture libérée de toute contrainte et affranchie de tout besoin. La raison (logos) s’incarne ici dans une présence qui « laisse aller » le déploiement des éclosions dans « la joie d’un intime contact avec l’univers »3.

Nous voilà reconduit à proximité de la dimension du sacré et de l’assentiment communiante au monde à mille lieux d’une raison discriminante et instrumentale. Dans ce paysage où tous les enchantements deviennent possibles le poète recueille les merveilles d’une pensée qui « laisse être l’être »,4 sans se lasser de revenir, telle une anaphore, à cette source insondable d’où pourtant tout procède et tout re-commence.

1 ARENDT (H), La crise de la culture, p.279.

2 ibid, p.270.

3 NOVALIS, Les disciples à Saïs, N.R.F Gallimard, p.71.

4 HEIDEGGER (M.),