Le lien social: amitié, fraternité et solidarité

Jean-Luc Spinosi

Le lien social est-il créateur de solidarité ? Le fait de poser la question indique qu’il n’y a pas de rapport de cause à effet. Le terme « social » est récent, il s’établit au moment des lumières du XVIIIème ; après un modèle organique, une perspective contractualiste  prend la relève, le « social » s’affirme. La fondation de cet idéal énonce aux côtés de la liberté et de l’’égalité, la fraternité ; pourquoi avoir rajouté la solidarité ? Ce sera une question névralgique qui s’insérera  dans d’autres implications, notamment celles du rôle de l’état  et des engagements associatifs. La problématique osera se confronter en plus, aux enjeux d’un modèle mécanique, dernier né  de la sophistication technologique. Le « social » ne risque t’il pas devenir à son tour virtuel et instrumental ?


A) Le modèle organique

Si nous cherchons le lien social en tant que tel dans les groupements initiaux de l’humanité, nous nous heurterons à des difficultés de deux ordres. La première tient de l’aspect anthropologique et la seconde à la conception même du monde qui s’y déploie. Concernant les faits tout d’abord, nous pouvons prendre appui sur les travaux de Lévi-Strauss qui décrit les rapports entre les hommes comme découlant de structure de parentalité où les articulations  complexes nous dissuadent de considérer les populations des aires tribales comme primitives. Que le fait soit premier n’implique aucune primitivité comme un schéma darwinien plaçant l’homme blanc au sommet d’une pyramide évolutionniste a bien voulu l’effectuer, justifiant ainsi les époques de la colonisation et de l’infériorisation. Comme l’indique Lévi-Strauss dont nous ne commenterons pas plus l’approche dans le travail présent, il existe une symbolisation pour toute activité et configuration communautaire. Ainsi une image du monde est-elle constituée qui d’ailleurs, et nous y reviendrons, n’est pas forcement en adéquation totale avec la réalité des faits. C’est que dès l’origine la conscience humaine pose une distinction entre le visible et l’invisible, le sensible et le suprasensible. Ainsi  un ordre symbolique (terme que nous emploierons pour désigner ce qui relève des représentations, des idées et surtout des significations) vient investir un ordre instrumental et matériel.


Pouvons-nous alors évoquer les communautés naturelles, cette expression a l’avantage de faire renoncer à celle tout à fait disqualifiante et disqualifiée de société primitive. Les travaux de Fernand Tönnies, sociologue allemand ont posé une confrontation fondamentale celle de la communauté et de la société. Basée sur des unités naturelles, l’expression est de Tönnies, tels la famille, le voisinage et le village, des groupements immédiats constitués par des liens organiques vont former les communautés de fait, ces liens sont constituants d’une organisation, les rapports entre les parents et les enfants, les frères, les relations de voisinage, établissent une communauté basée sur la localité et pas seulement sur l’aspect biologique. Cependant c’est la Vie dans son immédiateté qui se manifeste, loin d’être un calcul, une volonté réfléchie, la nécessité ne laisse pas de choix, ce que Tönnies nomme une volonté organique, c’est la première intelligence, spontanée, où les sentiments (Rousseau reprendra ce thème surprenant du sentiment dans la philosophie) vont orienter l’association. N’étant  pas, en tant qu’homme, adapté à son milieu par l’instinct comme l’animal, il convient donc de s’extraire de celui-ci pour y trouver son équilibre, et ce dans un contexte où l’entraide est le premier impératif. L’économie est bien sûr domestique, elle ne vise pas la création de besoins mais la satisfaction de ceux-ci, la base essentielle restant la cellule familiale. Cette approche est dite organique, mais n’oublions pas toutes les symbolisations inhérentes aux gestes les plus simples de l’existence, ainsi pourrons nous de manière plus précise parler de société traditionnelle.
Nous quittons l’aperception anthropologique du modèle pour entrer dans la dimension spéculative, c’est-à-dire dans le regard de la philosophie. Là aussi nous nous tenons dans l’Unité d’un tout, d’une totalité vivante qui n’est pas la simple somme d’éléments. Même  si c’est le besoin, « un individu ne peut se suffire à lui-même » dira Socrate, la Cité Parfaite est le modèle où gouverne la Pensée (Le Logos), nous dirions la raison  qui contemple le Bien. Une vision socio-cosmique s’établit où l’homme est un microcosme et la cité le reflet de l’harmonie idéale. Une hiérarchie constitue celle-ci, correspondant aux différents niveaux d’un organisme vivant, l’esprit, l’âme et le corps. Nous  posons d’abord le besoin, où le lien fondamental est l’entraide, le terme de solidarité est inconnu à l’époque mais certainement le traduit-il dans une certaine mesure, pour parvenir à la vision intelligible de la dimension des Idées Eternelles. Même s’il s’agit de la conception philosophique ayant pour but la contemplation suprême du Bien et de l’Etre, donc d’une approche métaphysique de la Cité n’ayant que peu à voir avec la cité réelle, cela permet de prendre la mesure d’une vision théorique du monde, où la symbolisation est quelque peu différente de celle de la modernité. Cela nous amène à observer que la perspective traditionnelle insiste sur la notion de Statut et non de contrat, chacun a droit à sa place. Le but c’est la Vertu, et non la liberté, mais seul l’homme libre y est apte. Tout cela ne serait sans l’insistance concernant la vert essentielle sur le plan pratique et Aristote d’en faire le Bien par excellence, il s’agit de la philia, l’Amitié, la plus noble tendance, faite au-delà de tout intérêt, vouée uniquement à la grandeur, et à l’autre. « Aimer est le propre des grandes âmes » dira Félix Ravaisson, et c’est bien ce souci de soi, qui se réalise dans le soin apporté à l’autre et ce dans le salut de cette âme antique dont la Vertu est à elle-même, comme le dira Spinoza, sa propre récompense.


B)  Le modèle contractualiste


Sociétés traditionnelles ou de l’ordre établit, les communautés à régime organique ne sont pas celles des grandes métamorphoses. Tönnies indique que leur disparition a permit la venue de la société industrielle et du capitalisme. Marx à son encontre pense que c’est tout simplement le capitalisme qui a fait disparaitre la société traditionnelle. Ce qui reste évident c’est que nous passons d’une conception à une autre et que le contrat l’emporte en tant que notion sur le statut. La société telle que nous l’entendons actuellement apparaît dans les idées avec les réflexions sur le contrat social, dans les faits avec l’abolition des ordres de l’Ancien régime et les mouvements de population que cela a entrainé. Le peuple se mobilise dira t’on, pour ordonner la configuration de nouveaux rapports entre les hommes et de proclamer une constitution fondée sur l’Idéal de la liberté. Ce changement implique des bouleversements voire des déracinements, dont l’abandon bien sûr des privilèges de castes, mais aussi de certaines identités corporatistes.  Mouvements et donc associations qui ont comme corrélat un lien nécessaire sur lequel s’appuieront tant la constitution que les tenants des Lumières : la fraternité. Plusieurs instances se mettent en place, la société industrielle par ce que l’on nomme « les fabriques », le commerce maritime, les inventions techniques, mais aussi la réflexion sur le contrat social, car l’ordre établi de la société ancienne ayant basculé, il faut refonder les groupes humains, non sur  la notion de communauté naturelle, mais de société contractuelle. L’homme est libre, jouit de l’égalité des droits et doit rencontrer l’autre non sous le rapport de la domination mais de l’extraction de l’état de tutelle selon la formule de Kant, l’association volontaire et éclairée devient décisive. Cependant  il reste que si selon la conception organique chacun à sa place, désormais il faut la chercher. Revenant  à l’approche de Tönnies, la société se distingue de la communauté par une volonté réfléchie et non organique. Le statut est remplacé par le contrat. Il décèle comme élément fondateur de la société la place prépondérante de la ville comme centre d’échanges en tant que marché où circuleront les biens. Donc le commerce, mais aussi l’industrie avec une force de production qui va modifier les rapports entre les hommes de par la transformation progressive de leur mode et de leur lieu de vie. Si le statut est de fait, le contrat lui se fait, il se traduit par des conventions qui s’établissent. Si dans la sphère de la communauté les hommes partagent un héritage commun, il n’en est pas de même pour les sociétés. D’une part les mouvements de population ayant acquis la liberté de circuler et de s’embaucher font qu’une hétérogénéité apparaît où il y a nécessité de trouver de nouveaux accords qui ne sont pas immédiatement donnés par un milieu où se transmettent les acquis, mais où les formes nouvelles de travail établissent les regroupements à partir des rapports de production. La société industrielle, sur la base de la propriété privée, mène à l’échange de la force de travail contre un salaire. L’intérêt est alors un mobile qui entraine les groupes humains et où la répartition du produit gagné, le profit, va constituer des groupes sociaux différents, donc des classes. L’individu a acquis la liberté, la notion de sujet responsable sur la base de l’égalité des droits, où la fatalité d’un modèle théologique et cosmique n’agit plus comme référence. Nous voyons ici les ambigüités d’un monde nouveau qui se forme et se transforme. Au possible désarroi que peut produire le déracinement, les mutations, répond un idéal, celui de la fraternité. Slogan révolutionnaire, il n’apparaitra pas dans les constitutions cependant avant 1848, moment où certaines ambitions de la première république vont être réclamées avec plus d’effectivité. L’homme est un animal politique disait Aristote, grégaire reprendra Marx. L’association  est non seulement nécessaire, pour des questions de survie, mais souhaitable pour la réalisation de la condition humaine. Au modèle organique des anciens répondront le modèle contractualiste, le contrat social dont l’expression la plus élaborée reste celle de Rousseau. Précisons cependant que la philosophie a néanmoins vu apparaître des tenants du modèle organique bien après l’apparition du courant des lumières puisqu’il s’agit des plus grands penseurs de l’idéalisme allemand : Schelling et Hegel.


Nous sommes en présence de la sphère de l’idéal, de la raison pratique qui guide les principes de l’action sur les plans moraux et politiques. L’ordre ancien relevait quant à lui d’une prépondérance de l’Idée, de la raison théorique qui est le domaine de la contemplation et de la connaissance désintéressée. Kant dans la critique de la raison pure, établit un verdict contre l’ambition sans borne de la pensée pure et déplace l’axe rationnel vers la liberté, axe central sur lequel repose l’homme responsable et non assujetti. Kant est dans la lignée de Rousseau, « il faut penser avec les autres » dit-il. Rousseau indique que les hommes ont dû «former par agrégation une somme de forces », ainsi déclare t-il dans le chapitre concernant le pacte social que l’association doit défendre et protéger la personne et les biens. Chacun mettant en commun sous la direction de la volonté générale, sa propre puissance, donnant à tous il reçoit de même. Le fait de poser autrui comme principe de son action produit la réciprocité. C’est donc dans un pacte que la société s’établit, une constitution où chaque membre est actif comme citoyen, et passif comme sujet (car soumis aux lois), actif car c’est lui qui les fait. Mais il faut que le lien social soit dans les cœurs, l’acte d’association volontaire, produit un moi commun où la fraternité est la condition de la liberté. Cependant une délégation est nécessaire, c’est la représentativité, l’état régi par les lois fait que seul l’intérêt public gouverne. Mais comme le dit Rousseau, l’origine de l’inégalité c’est la propriété. L’état qui se doit comme l’indique Montesquieu de venir en aide aux démunis n’est pas la seule instance, la propriété est un droit naturel défendu par la déclaration des droits de l’homme au même titre que la liberté et la sûreté. De là  nous verrons une distinction connue entre la société civile et l’état. Ce dernier peut apparaître comme structure neutre et régulatrice, il n’empêche que des rapports de production, donc l’impératif économique de croissance  et de profit, contribue à l’aménagement des rapports sociaux. Tocqueville, penseur libéral pourtant, dénonce la misère que le prolétariat, nouvelle condition sociale connaît en Angleterre. Notons qu’à l’époque du capitalisme industriel dans ce pays vont apparaître les premiers centres sociaux, pour venir en aide aux classes pauvres. Nous ne retracerons pas l’histoire des luttes d’intérêt entre les divers groupes constituant la société industrielle, mais nous pouvons observer que les tensions n’ont été que rarement apaisées sauf par l’obtention de droits (salaire minimum, congés payés, etc.…) qui furent arrachés aux pouvoirs souvent par la force. Le système économique basé sur le progrès de la technique, l’accumulation mais aussi  la concurrence et le profit dans sa forme compétitive provoque aussi l’aliénation, soit sous l’aspect de l’exploitation soit celui de l’exclusion. Peut-être pourrions-nous observer que le lien social s’est souvent affirmé comme le corolaire de la lutte sociale où la fraternité va prendre le nom de solidarité. Cette notion va apparaître avec Charles Gide, un des fondateur du mouvement coopératif, ni marxiste ni libéral, mais issu du socialisme français du dix-neuvième, dont les noms de Louis Blanc, Joseph Proudhon ou Pierre Leroux émergent. La solidarité dit-il n’est pas un idéal comme la fraternité, nous rajouterons ni une vertu comme l’amitié, c’est un engagement, une volonté active qui s’effectue. Nous pourrions à cet égard citer en exemple les centres sociaux qui sont apparus en Algérie en pleine guerre, sous l’instance de Jacques Soustelle et Germaine Tillon, où loin de la barbarie il s’agissait de rassembler les hommes de toute origine dans le but de construire  un projet de paix, d’éducation et de vie commune. Il fallait avoir beaucoup de courage et de désintéressement, c’est à ces conditions qu’effectivement une solidarité creusée dans les profondeurs du lien social, toujours à faire, peut être une réalité en acte et pas une simple déclaration rituelle.


C)  Le modèle fonctionnel


Après les formes traditionnelles et contractuelles du monde social, nous allons aborder la dernière métamorphose de la société contemporaine, celle de la forme fonctionnelle. Le thème est difficile car il fait appel à la mobilisation de faits qui n’appartiennent pas au champ de la pensée mais à celui des applications techniques. Jan  Patocka, philosophe tchèque, qui fut un exemple pour son action de résistance aux systèmes totalitaires, y sacrifiant sa propre existence, donnait comme appellation à l’occident moderne, celle de «surcivilisation technologique». Si nous considérons le fait de la technique comme une donnée anthropologique, c’est-à-dire inhérente à la culture humaine, nous retraduisons sa fonction véritable de moyen en vue d’une fin ou d’adaptation au milieu. Le contexte devient différent dès lors que la technique devient le milieu, à ce moment l’adaptation se retourne de la fin vers le moyen qui s’y substitue. Lorsque l’on analyse le terme même de technologie (Techné-Logos) il aboutit à un processus nouveau : la configuration technique du monde. Quand Michel Foucault dans son étude majeure sur le sujet, « Surveiller et punir », aborde le thème, il place en première place le concept de dispositif. Celui-ci se rapproche de ce que Heidegger appelle le Gestell, dont la traduction la plus approchante serait appareil ou échafaudage. Le dispositif est la mise en place de stratégies en vue d’une fin, où se mobilisent un ensemble de moyens qui assurent une maitrise, un contrôle et une transformation du réel. Le but est de gérer, orienter sur le mode du commandement et de la prescription. La modélisation qui résulte des paramétrages modifie les conduites et les activités. Réduire l’emprise technologique à des éléments mécaniques, fait se diriger hors du champ réel des dispositifs.  Castoriadis  donne comme origine du terme technique, l’idée d’un montage et assemblage. Il y a essentiellement  la capacité de transformation sur le plan pratique et la vocation au calcul au niveau théorique. L’efficacité est le principe à l’œuvre amenant à l’optimisation des moyens. Lorsque la cybernétique, c’est-à-dire l’assistance par systèmes automatisés se constitue un champ d’expansion en réseau, nous passons du terrain de la simple mise en œuvre d’une technique à une armature réticulée dont la forme devient celle d’une infrastructure d’intégration. Circuits et procédures, constitution de mouvements séquentiels, et armature paramétrique, sur la base d’enregistrement de données numériques constituent une nouvelle dimension, celle d’un cadre opérationnel que nous nommons le règne instrumental. Les appareils, c’est-à-dire, tant les réseaux informatisés que les diverses structurations fonctionnelles, au niveau économique, social et institutionnels, posent la notion de résultat d’objectif, et non de fin à réaliser, l’inversion stratégique du passage des savoirs aux pouvoir s’effectue à ce moment. Le système instrumental, dépasse à notre sens, la mise en cause du capitalisme. C’est un système de pouvoir, de contrôle et d’exploitation où une synthèse est constituée de la technique, de la recherche appliquée, de l’économie, de l’administration et de la finance. Il s’agit de circuits de pouvoir comme les nommait un ancien président de la république française, dans son ouvrage «La paille et le grain ».


Plusieurs effets sont constatables, concernant  la dimension théorique, les statistiques et les probabilités prennent la place des idées, l’approche quantitative celle de la pensée. Sur le plan éthique, l’individu devient une fonction où il doit trouver sa place d’opérateur compétent dans un contexte de compétition. Considérée comme ressource, la Nature devient l’objet d’une exploitation déstabilisante, sans oublier comme le dit Serge Latouche, que prôner une croissance infinie dans un monde, qui lui est fini, est une absurdité. Mais l’homme dans tout cela, que devient-il ? Ne parle t’on pas de ressources humaines, il est inutile d’aller plus loin.


Alors, au lien social se pose nécessairement de nouveaux enjeux, parce que dans un contexte où ne s’énoncent plus les questions « pourquoi » et « qu’est-ce que c’est » (la quiddité et la quoddité) mais le « combien », un saut dimensionnel a été effectué. Quand les ratifications de séquences remplacent la réflexion de la conscience, que les protocoles et les procédures répondent à chaque situation sur le même mode, c’est que nous avons confondu  des identifiants de fichier informatique et des personnes pourvues de leur identité.


Comme nous l’indiquions le lien social se fait, mais aussi il se défait. Ce n’est pas l’artificialisation du monde qui le reconstruira mais nous-mêmes sur la base du choix d’un destin collectif dans un lieu où se réalise l’identité commune et plurielle. Dans le réseau issu des fabrications d’intermédiaires, ce que l’on nomme actuellement l’intermédiation, indiquant les ruptures que l’on établit dans les relations spontanées, désormais chacun peut « surfer » sur une dimension virtuelle et donc glisser sur la réalité dont il n’assume plus les nécessaires enracinements et engagements pour y participer. Les restructurations effectuées au cours de notre époque, ont provoqués des déracinements, tant dans le milieu rural que dans les villes moyennes. L’anonymat urbain des métropoles, l’isolement voire l’abandon ont été des facteurs de nuisances qui mettent en danger le lien social. Les unités naturelles, familles au sens large et restreint, villages et voisinages n’ont pas été relevés comme éléments constitutifs du fait social, sans parler des lieux où l’existence devait se dérouler. De multiples centrales, d’achat, de distribution et de traitements dématérialisés, ainsi que d’installation en périphérie pour ce qui est de zones industrielles, commerciales voire d’habitation ont fait confondre les lieux où la vie se déploie avec des armatures graphiques où chacun reçoit sa part, celle d’un point fixe ou vectoriel sur un diagramme. De tous ces troubles de la vie dont les sociologues et les psychologues constatent les difficultés à long terme, nous ne pouvons que montrer l’insuffisance des réponses faites par les appareils de secours, malgré les bonnes intentions. Le fait de constituer des organismes d’aide, institués, ne peut concerner qu’une démarche temporaire où il ne faut pas confondre les mesures avec les solutions, les procédures avec les formes de vie. L’entraide réelle n’est pas une prestation de service mais un engagement, une solidarité qui seule peut faire vivre le lien social. Nous l’observons de par de multiples associations, de petits producteurs ruraux, de commerces ou de sociétés d’échanges libres, l’économie ici se «réenchasse» dans le social. Ce ne seront pas les multiples assistances, cybernétiques et sociales qui ouvriront à la convivialité authentique, pour cela il faut viser d’autres fins que la rentabilité, l’efficacité ou l’optimisation des moyens. Il nous faut partager les finalités pour qu’un tissu social commun puisse se créé, comme il n’y a pas de citoyenneté passive, de même afin de rencontrer l’autre sur un véritable espace réel, c’est par l’engagement que se décident la rencontre, l’échange et le partage dans le respect des différences en tant que richesses communes.


De la grande vertu de l’amitié à l’engagement de la solidarité, sans oublier l’idéal de fraternité, il n’y a pas de rupture, seulement des modifications de contexte. Toutes nous renvoient à la question fondamentale de Kant : « Qu’est-ce que l’homme ? »  Nous seuls décidons  de la réponse : soit « un loup pour l’homme » comme le croyait Hobbes, soit « celui qui pose autrui comme principe de son action » ainsi que l’entendait Rousseau.